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La bulle du Bonheur au Travail

08 mars 2021 Réseau
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Les burn-out en série ne sont que la partie émergée d’un phénomène réel : la détérioration de la santé au travail de nombreux actifs. Face à ce contexte, comment faut-il interpréter la place occupée par la thématique du bonheur au travail dans le monde professionnel ? Au delà d’une sémantique de la sphère personnelle qui s’invite dans un univers qui lui était étranger, l’expression du bonheur dans le monde du travail peut dans le même temps nous détourner des priorités managériales et produire des effets contraires à ce qui est recherché : augmenter le mal-être.

La dégradation progressive et générale des conditions de travail des cadres a amené la thématique de la Qualité de vie au Travail dans des environnements professionnels où elle était jusque là absente. L’hyperconnectivité, l’accélération des rythmes de travail, l’intrusion de la vie professionnelle dans la sphère privée, de même que la place centrale de la performance dans les organisations de toutes natures, privées comme institutionnelles, ont marqué les mutations récentes du monde du travail. Ces évolutions ont concouru à faire apparaître le stress, l’épuisement professionnel voire les maladies telles que le burn-out au sein d’une population qui jouissait traditionnellement d’un statut préservé de la souffrance.

 

Dans ce contexte où la santé des salariés dans nos entreprises, même des plus diplômés, devenait un nouveau sujet de préoccupation des employeurs, le thème du « bonheur au travail » est apparu dans le champ des communications RH et managériales. Dans notre époque, le choix des mots a beaucoup d’importance et ne peut être laissé au hasard. Avec une surenchère évidente dans le vocabulaire, le mot bonheur vient masquer la réalité des causes de ces mutations professionnelles, et nous embarque collectivement dans le mauvais sens.

 

Parler du bonheur dans le cercle professionnel relève d’une injonction, injonction qui s’ajoute à toutes celles du monde professionnel et qui contribuent en partie aux désengagements. Des fonctions de Chief Happiness Officer, rattachées à la fonction RH, se présentent ainsi aujourd’hui par le titre comme les garants du bonheur au travail. Pourtant, à trop communiquer sur le bonheur, et sa promesse inaccessible, on ne peut que générer de la frustration, que récolter son revers : le mal-être. L’utilisation du terme bonheur est ici totalement dévoyé, et il dessert au final les intentions de ceux qui cherchent avec sincérité à s’attaquer aux causes profondes des dysfonctionnements du travail.

 

« Une entreprise ne doit pas chercher le bonheur, mais simplement se concentrer sur les fondamentaux d'un management sain ».

 

Certes la crise sanitaire que nous vivons, avec son lot de bouleversements dans les repères traditionnels, télétravail en tête, a eu un effet d’amplification des réflexions sur le thème du bien-être au travail.  Incontestablement, la mise en exergue de ces questions relève d’une prise de conscience utile. Cependant, enrayer la spirale de la surcharge de travail, de la pression du temps, s’attaquer aux excès de process et de normes, aux comportements toxiques constituent des chantiers bien plus complexes que d’accumuler les artifices que le fameux baby foot a cristallisé. Une entreprise ne doit pas chercher le "bonheur", mais uniquement se concentrer sur les fondamentaux d'un management sain. Et ce n’est pas si aisé …

 

Je ne peux qu'alerter sur les risques de communications simplificatrices, dans lesquelles on joue avec les mots, quand la santé des personnes est en jeu. Cette bulle du bonheur au travail est malsaine, le bonheur doit rester un sujet de la seule sphère privée, car il combine une multitude de paramètres qui dépendent de chaque individu.

 

C’est donc un appel à la modération, à dégonfler la bulle. Plutôt que de théoriser sur les voies d’accès au bonheur, les managers et dirigeants devraient concentrer leurs efforts sur les rythmes de travail, les modèles d’organisation et la collaboration, la reconnaissance ou le développement professionnel qui font partie des ressorts de l’action managériale. Ils permettent de limiter les causes racines des décrochages, et sont les seuls vrais leviers vers un travail qui soit équilibré, motivant, plaisant, … et sain. Car s’ils font moins d’effet, les termes de satisfaction, ou de motivation, décrivent mieux ce qui est nécessaire et suffisant pour être tout simplement « bien dans son travail ». Laissons à chacun le choix d’accéder au bonheur comme il le désire… !

 

Laurent POLET

Professeur en Management à Centrale Paris

Fondateur de Primaveras, école des choix de carrière

www.primaveras.fr




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